table-ronde
« La négociation collective en droit du logement »
21 mars 2024
11h30-13h00
FTX 202 + Zoom
Lien vers l'inscription (choix en présentiel ou à distance)
Quatrième table-ronde de la série « Repenser les liens juridiques d'une société en transition »
Olivier Grondin, fondateur de De Lege Ferenda, un OBNL cherchant à mettre en oeuvre le modèle syndical en matière de logement
Jérémy Boulanger-Bonnelly, avocat et professeur à la Faculté de droit de McGill
Mireille Fournier, avocate et doctorante à l'École de droit de Sciences Po, Paris, et à la Faculté de droit de l'Université Laval
Modérateur : Pascal McDougall, avocat et professeur de droit du travail à la Section de droit civil de l'Université d'Ottawa
Informations
Cette table-ronde explorera différentes initiatives visant à renforcer la position des locataires par l’instauration d’un rapport collectif avec les propriétaires de logements. Les intervenants discuteront en particulier de la possibilité de créer des syndicats de locataires, auxquels seraient confiés la négociation des loyers et la représentation des locataires en cas de conflit avec leurs propriétaires. Les attributions de tels syndicats de locataires seraient ainsi analogues à celles des syndicats de travailleurs, qui ont révolutionné le domaine du droit du travail au cours du siècle dernier.
Synthèse des discussions
rédigée par Joémy Binette et Flavie Beauregard
Repenser la propriété foncière au Québec : une exploration des fiducies d'utilité sociale et de leur rôle dans la transition socioécologique
Les modes traditionnels de propriété foncière n’ont pas su apporter une solution satisfaisante et cohérente à certaines problématiques d’actualité telles que la spéculation foncière ou encore la dégradation des milieux naturels et du territoire agricole. Ce contexte constituait la ligne directrice de cette seconde table-ronde du 29 novembre 2023 organisée par l’Observatoire pluridisciplinaire sur le devenir du droit privé dans le cadre de sa série « Repenser les liens juridiques d’une société en transition ».
L’événement a réuni quatre intervenant et intervenantes afin de cerner les assises sociales et juridiques ainsi que les enjeux des modes alternatifs de propriété foncière, en particulier la fiducie d’utilité sociale ou « FUS » qui a connu un fort essor au Québec depuis une quinzaine d’années. L’Observatoire a ainsi eu le plaisir de recevoir Hubert Lavallée, ingénieur de formation et président de Protec-Terre,Édith Vézina, notaire et professeure à la Faculté de droit de l'Université de Sherbrooke, et Jessica Leblanc, avocate et doctorante à l'Université du Québec à Montréal (UQÀM) et à Paris 1. La discussion a été modérée par Gaële Gidrol-Mistral, professeure au Département des sciences juridiques de l'UQÀM.
D’emblée, il convient de mettre en évidence le fait que le concept de fiducie d’utilité sociale n’est pas nouveau en droit québécois. En effet, les FUS, qui puisent aujourd’hui leurs fondements des articles 1260 et 1270 du Code civil du Québec, ont émergé en 1994 à la suite de l’entrée en vigueur de ce même Code. Or, malgré le fort potentiel de ce mécanisme juridique, la FUS demeure aujourd’hui sous-utilisée, délaissée, mais surtout méconnue tant par les juristes que par la société civile. Toutefois, force est de constater que divers groupes communautaires, entre autres Protec-Terre,militent activement depuis plusieurs années pour une plus grande reconnaissance et pour une certaine démocratisation de ce modèle d’exploitation foncière unique au monde. Protec-Terre est un organisme à but non lucratif fondé en 1990 dont la mission est de garantir la préservation des milieux naturels pour les générations futures et actuelles, et ce, tout en mettant en place des systèmes alimentaires durables et de proximité, notamment à des fins de souveraineté alimentaire. En ce sens, Hubert Lavallée, à travers l’exemple de la ferme Cadet-Roussel, la première fiducie d’utilité sociale agroécologique (« FUSA »), a débuté son exposé en expliquant les distinctions principales entre la FUS et les autres types de fiducies tout en mettant particulièrement l’accent sur le modèle de FUSA qui est mis de l’avant par Protec-Terre.
M. Lavallée rappelle notamment que la FUS comporte avant toute chose une vocation communautaire et collective. Concrètement, cela veut dire que le patrimoine fiduciaire ne sera pas affecté à la réalisation d’un bénéfice pécuniaire ni à l’exploitation d’une entreprise, mais visera plutôt l’atteinte de buts spécifiques d’intérêt général, par exemple la préservation du patrimoine bâti religieux, la création de logements sociaux, ou encore, dans le cas de la FUSA, la protection écologique à long terme, voire perpétuelle, des terres agricoles. En outre, cette affectation ne sera pas susceptible d’être modifiée par les constituants ni par les bénéficiaires, puisque seul un juge sera en mesure de substituer l’affectation initiale des biens fonciers par une nouvelle affectation, cette dernière devant obligatoirement être de nature équivalente. De plus, la convention de fiducie peut mettre en place des mécanismes et des sanctions contre toute personne qui ne respecterait pas l’affectation propre à la FUS. Il convient également d’ajouter que la FUS se caractérise par l’emploi de clauses d'inaliénabilité et d’insaisissabilité qui protègent les biens fonciers affectés de la surspéculation. Dans la même perspective, de l’avis de M. Lavallée, le modèle actuel des FUS et des FUSA permettrait d’apporter une réponse constructive à l’égard d’enjeux contemporains majeurs. En effet, ces dernières permettent un meilleur contrôle de l’utilisation des biens fonciers grâce à la mise en œuvre de principes tels que la gouvernance démocratique et représentative. En d’autres mots, des membres de la collectivité, des organisations à but non lucratif ou encore des agronomes seraient susceptibles de faire partie du conseil fiduciaire d’une terre agricole.
Le deuxième groupe de modes alternatifs de propriété foncière a été exploré majoritairement à travers la recherche menée par la professeure Vézina, que celle-ci a partagé lors de la table-ronde. Son projet de recherche s’est consacré à l’exploration de diverses formes et types de démembrements du droit de propriété. Dans une perspective comparative, elle a d’abord considéré les pratiques à l’étranger. À titre d’exemple, elle a étudié le bail à domaine congéable en France qui est une forme de propriété superficiaire. La recherche était plutôt axée sur la notion d’indivision qui constitue généralement un concept bien mal-aimé en droit des biens. L’indivision permet une mise en commun de ressources et d’expertises, ce qui à terme est susceptible de bénéficier à la collectivité. Comme le souligne la professeure Vézina, afin de réunir des indivisaires, il serait possible de rédiger un contrat qui viendrait régir le vivre-ensemble et le report de partage. D’un autre côté, le Code civil énonce la possibilité d’affecter le bien indivis à une affectation durable. Or, la définition de ce qui constitue une affectation durable demeure imprécise. Par ailleurs, sa recherche s’est également penchée de très près sur l’usufruit. La professeure croit ainsi qu’il serait possible de donner à cet autre mal-aimé un second souffle dans le cadre juridique actuel. Plusieurs juristes estiment qu’il serait d’autant plus bénéfique d’encadrer l’usufruit au moyen d’une convention afin de l’utiliser au bénéfice des propriétaires agricoles. Enfin, pourquoi ne pas combiner l’indivision et l’emphytéose? Bien que l’on doive parfois concilier plusieurs délais à l’égard des divers types de démembrements, surtout ceux qui ne sont pas perpétuels, il est indéniable que les possibilités offertes par les attributs de la propriété forment un vaste terreau qu’il serait fort utile d’explorer plus en profondeur.
Finalement, la discussion a pris fin avec la prise de parole de Me Leblanc qui a présenté sa recherche portant sur la représentation de la FUS dans les discours des usagers et des intermédiaires du droit. Me Leblanc a réalisé une étude approfondie de la FUS et a été en mesure, après une recherche documentaire exhaustive, de dresser un portrait quantitatif de celle-ci. Elle a notamment soulevé le nombre récurrent de mentions des FUS dans le domaine immobilier. Elle a également été à même de constater qu’à l’origine, on dénombrait la majorité des FUS en Estrie. En revanche, Me Leblanc a pu observer qu'elles tendent à se répandre de plus en plus, notamment dans les Laurentides et dans Lanaudière. En outre, comme l’affirme Me Leblanc, il demeure difficile d’établir le nombre réel de FUS puisqu’il n’existe à l’heure actuelle aucun registre public les répertoriant exhaustivement. À ce sujet, il est intéressant de noter que les juristes qui décrivent la fiducie comme un patrimoine distinct sont rares, car la tendance est plutôt de qualifier celle-ci par l’emploi de la négative, c'est-à-dire par une absence de propriétaire.
En définitive, à la lumière des différentes interventions qui ont animées cette table-ronde, il est primordial de retenir que le droit privé offre plusieurs solutions spécifiques et appliquées pour répondre aux multiples problématiques sociales et écologiques auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui. Il va de soi que le potentiel économique, social et environnemental de ces alternatives en font des leviers prometteurs pour l’avenir et le développement durable du territoire québécois.